Un de mes anciens collègues, Fabrice Poussière (creative-network.blogspot.fr) avec qui nous parlions souvent des problèmes de management a fini par me confier ce livre pour que je puisse en parler ici.
Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton, deux professeurs de management iconoclastes à l’université de Stanford, font le constat que le management est un des seuls domaines restant qui échappe à toute démarche scientifique.
Ils veulent inviter, par ce livre, les managers à un autre mode de fonctionnement plus efficace.
Cette nouvelle approche qu’ils appellent “le management par la preuve” est une analogie de ce qui se fait déjà en médecine sous le nom de “médecine factuelle”. La médecine factuelle s’appuie sur des études scientifiques et expérimentations avant d’introduire de nouveaux comportements, puis de vérifier à postériori l’efficacité de ces comportements.
A l’heure actuelle le marché des conseils managériaux est confus et contradictoire. Par exemple on trouve des cabinets de conseils mettant en avant la nécessité de recruter un PDG charismatique, d’autres au contraire conseillent un PDG humble et discret.
Voici 3 idées fausses profondément ancrées dans le monde du management:
Idée fausse n°1 : “ne recruter et ne garder que les meilleurs.”
Le talent individuel est un leurre. Si on regarde par le passé les 10% des plus grand compositeurs, on se rend compte que pendant la même période ils ont produit de belles choses mais tout autant de mauvaises.
Même en admettant le postulat, sur quelle base sélectionner les “meilleurs” ?
Par le Quotient Intellectuel ? D’après des études factuelles, on ne trouve que 0,4% de corrélation entre le niveau du QI et les performances des individus en entreprise.
Le jugement humain est subjectif et auto-réalisateur:
Voici une étude sur l’évolution de la performance à des jeux de logiques de deux groupes distincts de même intelligence mesuré par le QI. Dans l’un des groupes on a expliqué que l’intelligence était innée et dans l’autre groupe qu’elle pouvait s’améliorer à force de l’exercer. Le deuxième groupe a eu de meilleurs résultats.
Au contraire il faut raisonner au niveau de l’équipe.
Les équipes “durables” réussissent mieux, car les membres apprennent à se faire confiance, à communiquer plus efficacement, à unir compétences, force et combler leurs faiblesses. Ce qui est tout à fait similaire à la philosophie Agile qui demande que l’équipe reste stable tout au long du projet.
Une étude de la Fédéral Aviation Administration américaine a noté que l’immense majorité des erreurs de pilotage arrivent pendant les premières 72 heures d’un nouvel équipage.
Il faut au contraire mettre l’accent sur les performances des systèmes qui sont bien plus importantes que les performances des individus.
En effet d’excellents individus dans un système non performant ne vont pas réussir à obtenir un résultat performant. A l’inverse des individus moyens dans un système performant peuvent réussir à obtenir des résultats performants. Cf Toyota.
La commission d’enquête sur les 2 accidents des navettes spatiales Challenger et Colombia a démontré que bien qu’il s’agisse de personnes entièrement différentes entre les deux époques, le même mauvais système a abouti aux mêmes dysfonctionnements ayant abouti aux deux explosions.
La vrai nature du talent est accessible à la majorité des personnes, car l’intelligence est évolutive et non innée !
La sagesse est le talent N°1 pour soutenir la performance des entreprises:
- agir en fonction de l’état actuel de son savoir
- douter de son savoir => rechercher, accepter l’aide et aider les autres
Par exemple chez IDEO (célèbre agence d’innovation et de design) il y a une obligation de collaborer/partager avec les autres. Si une personne ne respecte pas cette règle, elle se retrouve vite isolée, sujette à des railleries des autres et finit par partir d’elle même.
Voici les profils de sagesses à garder précieusement dans votre entreprise pour permettre à l’organisation de s’améliorer:
- Les râleurs:
résoudre immédiatement les problèmes mais ensuite faire savoir à tous les intéressés que le système s’est révélé défaillant - Les emmerdeurs:
Dénoncer systématiquement les erreurs des autres, mais pour contribuer à l’apprentissage organisationnel et non pour les désigner comme boucs émissaires - Les gaffeurs consciencieux:
Parler de ses propres erreurs à ses supérieurs et à ses collègues afin d’éviter qu’ils commettent les mêmes. Avouer ses erreurs signifie que l’on a pour objectif d’apprendre et non de faire bonne impression - Les empêcheurs de penser en rond:
Ne pas penser que le mieux est l’ennemi du bien. Demander constamment pourquoi on procède ainsi. Pourrait on procéder autrement pour améliorer les choses ?
(Etude réalisée par Anita Tucker et Amy Edmondson dans les hôpitaux performants)
Idée fausse n°2: “Les personnes sont motivées principalement par l’argent”
Il semblerait que nous pensions tous que les autres sont plus intéressés par l’argent que par l’intéret du travail alors que nous sommes majoritairement plus intéressés par nos motivations intrinsèques: principalement par notre capacité à prendre des décisions ou à effectuer un travail intéressant.
(Voir les travaux étonnants de Daniel Pink sur la motivation (http://vimeo.com/15488784))
Les incitations financières motivent mais en se focalisant sur de micros optimisations, ce qui assez souvent aboutit à une dégradation du système global (exemple: accumulation de mauvais clients si le focus est mis sur le recrutement de client, au global l’entreprise perd de l’argent)
De plus les incitations financières individuelles ne fonctionnent que si le travail est uniquement individuel, sinon elles détériorent le travail de l’équipe en créant des dissensions au sein du groupe.
Idée (semi) fausse n°3: “Les leaders font toute la différence”
Les leaders ont très peu de moyens d’action, car ils doivent faire avec les employés en place, le marché, les produits existants, le contexte économique, etc…
Ils peuvent même être contre productifs. 60 à 75% des salariés rapportent que l’aspect le plus terrible et le plus stressant de leur travail est leur supérieur direct. La brutalité et l’incompétence chez les managers engendrent chaque année des milliards de dollars de perte de productivité (Hogan, Curphy et Hogan “what we know about leadership” p494)
(Cf Agilité demandant d’avoir des équipes auto-organisées (et supprimer ainsi les niveaux hiérarchiques.))
Les leaders peuvent agir principalement sur le climat organisationnel de la manière suivante:
- Leader parle et agit comme s’il maîtrisait la situation.
- Les acteurs sont convaincus que les paroles et actes du leader ont une influence sur l’organisation.
- Des changements se produisent du fait de l’action des acteurs.
- Ces changements sont attribués au leader.
- les leaders sont persuadés que leurs paroles et actes influencent réellement l’organisation.
Les meilleurs leaders sont suffisamment intelligents pour agir comme s’ils contrôlaient les événements et suffisamment sages pour ne pas prendre la grosse tête.
Si vous voulez aller plus loin toutes les références des études citées ici sont indiquées dans le livre.